mai 11

La bataille de Kirina : comment Soundjata a fondé l’Empire du Mali

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La bataille de Kirina ou guerre de Krina, ou encore Krina Kèlè en mandingue, constitue un tournant décisif dans l'histoire de l'Afrique de l'Ouest. Cet affrontement a eu lieu au début du XIIIe siècle, marquant la fin de la domination du Royaume Sosso et le début de la suprématie de Soundjata Keïta, fondateur de l'Empire du Mali. Cette bataille symbolise non seulement la victoire militaire de Soundjata, mais aussi la consolidation politique de l'empire malien, l'un des plus grands et influents empires de l’histoire.

Contexte historique

Au début du XIIIe siècle, la région de l’actuel Mali était dominée par Soumaoro Kanté, roi du Sosso. Ce souverain avait réussi à soumettre plusieurs royaumes, dont celui du Mandé, la région d’origine de Soundjata. Soumaoro était non seulement un puissant chef militaire, mais aussi un roi doté de pouvoirs mystiques. Sa réputation lui avait permis d'asseoir son autorité dans toute la région.

En revanche, Soundjata, qui avait été exilé avec sa famille après avoir survécu à des tentatives d'assassinat de la part de Soumaoro, avait progressivement rallié plusieurs chefs de guerre et clans dissidents sous sa bannière. Soundjata, souvent décrit dans les épopées comme un enfant prodige ayant surmonté de nombreux obstacles, parvint à s'imposer comme le leader incontesté des peuples mandingues, déterminé à libérer sa terre de la domination de Soumaoro.

Contexte politique de l'Afrique de l'Ouest avant la bataille de Kirina.

Contexte politique de l'Afrique de l'Ouest avant la bataille de Kirina, au début du XIIIe siècle. Crédit à Souleymane Keita, CC BY-SA 3.0.

Quelles sont les conséquences de la bataille de Kirina ?

Quelles sont les conséquences de la bataille de Kirina ? Cette victoire mit fin à la domination du Sosso et permit à Soundjata Keïta d’unifier le Mandé. Il fonda l’Empire du Mali, reconnu pour sa stabilité, sa prospérité et son influence. Soundjata gagna en légitimité politique et imposa un pouvoir centralisé durable.

La bataille de Kirina précède la fondation de l'Empire du Mali.

Carte de l'Empire Mali. Crédit à Marc-AntoineV, CC BY-SA 4.0.

Les préparatifs avant la bataille de Kirina

En préparation de la bataille de Kirina, Soundjata avait réuni une armée impressionnante et diversifiée. D'après l'historien malien Youssouf Tata Cissé :

« La puissance des forces en présence était hors du commun. (...)
« C'est dans la plaine de Krina que bivouaqua l'armée de Soundjata, affirme Wa Kamissoko, qui nous a déjà dit comment les Somonos de Kankan Saro firent traverser le fleuve à ce chef de guerre et à ses principaux lieutenants. Wa Kamissoko nous raconta également l'accueil que le « Manden » réserva, dans Dakadjalan, à Soundjata. »
— Soundjata la gloire du Mali (p. 13-14)

Cette armée comptait non seulement des soldats mandingues, mais également des alliés venus de diverses régions, tels que des Peuls, des Soninkés, des Maures et des Kakolos. Ces groupes formaient un ensemble hétérogène, unis par un objectif commun : renverser l'empire Sosso.

L’un des éléments clés du succès de Soundjata était l'organisation méticuleuse de son armée. Les chasseurs du Mandé, menés par le célèbre Tiramakhan Traoré, étaient chargés de harceler les forces ennemies à l’aide de flèches empoisonnées et d’attaques surprises. Ces chasseurs jouaient un rôle essentiel dans l'assaut, aidés par leurs chiens bien dressés, qui semaient la panique parmi la cavalerie du Sosso.

Soundjata et ses généraux, avant la bataille de Kirina.

Le plan de Soundjata

Soundjata avait soigneusement préparé son plan, plaçant ses forces à des positions clés pour maximiser leur efficacité. En effet, les chasseurs de Tiramakhan étaient postés dans les forêts bordant le fleuve, prêts à harceler les forces ennemies par des embuscades.

En parallèle, les Kamara du Sendougou se voyaient confier la mission de flanquer l’armée ennemie, opérant un mouvement tournant depuis les Monts Mandingues pour empêcher toute retraite vers le nord. Soundjata lui-même dirigeait la prestigieuse cavalerie du Wagadou, surnommée la "poitrine de la guerre", qui devait frapper au cœur de l'armée de Sosso, désarticulant ses lignes de défense.

De plus, Soundjata avait anticipé une éventuelle retraite de l'armée Sosso vers le nord. Pour prévenir cette éventualité, il avait stationné des forces sur le plateau latéritique de Samalen, situé à l'ouest de la plaine. En coupant cette voie de retraite, Soundjata espérait piéger l'armée Sosso et ses troupes dans une zone restreinte où ils seraient incapables de manœuvrer efficacement.

L'une des particularités de cette bataille fut l'usage d'abris souterrains et de tireurs d'élite embusqués, une tactique innovante pour l'époque. Ces tireurs, cachés dans des bosquets ou dissimulés dans des abris en rotin, avaient pour mission de cibler les chefs de guerre sosso, reconnaissables à leurs coiffures spécifiques. Cette stratégie visait à décapiter l'armée ennemie en éliminant ses commandants les plus importants.

Un tireur d'élite à la bataille de Kirina.

Le début de la bataille de Kirina

La bataille de Kirina, qui se déroula sur les plaines avoisinant le fleuve Niger, fut marquée par une série de combats féroces et meurtriers. Dès l’aube, les armées des deux camps se faisaient face. L’affrontement démarra vers neuf heures, avec des échanges intenses entre les lanciers peuls et les cavaliers du Sosso. Les Peuls, désireux d’en finir avant la tombée de la nuit, se lancèrent dans des charges répétées contre l’armée sosso. Toutefois, ils rencontrèrent une résistance acharnée, et beaucoup d’entre eux tombèrent au champ d’honneur.

L’après-midi fut tout aussi sanglant, les armées des deux camps s’étant épuisées dans des combats incessants.

La charge des lanciers peuls à la bataille de Kirina.

La trêve

À seize heures, une trêve temporaire fut déclarée, permettant aux deux camps de soigner leurs blessés et d’enterrer leurs morts. 

Une trêve à la bataille de Kirina.

Le rôle des griots pendant la bataille de Kirina

Cette trêve offrait également l'occasion aux griots et aux orateurs de chaque camp d'exhorter les guerriers à redoubler d'efforts. Les griots jouaient un rôle essentiel dans la culture militaire de l’époque, renforçant le moral des troupes par des chants épiques et des louanges.

« En Afrique de l'Ouest, et notamment au Mali, la trêve aux combats fut toujours l'occasion pour les gens de caste de donner de la voix. « Jusque-là, nous n'avons vu que des chevaux et des chiens courir en tous sens, des vauriens mourir sans gloire et des blessés vagir comme des femmes en couches. Qui d'entre vous ose prétendre avoir brillé en une matinée et une après-midi de combat ? Vivement la nuit pour que nous allions annoncer votre mort à vos parents et à vos amis, à moins que vous ne préfériez vous faire opérer une deuxième fois par le roi circonciseur du Sosso », hurlaient à tue-tête les Wolosso descendants d'esclaves aux chefs de guerre réunis autour de Soundjata sur le plateau de Samalen.
« Quant aux griots et autres founè, ils s'égosillaient à flatter les uns et les autres tout en leur arrachant des promesses d'accomplir demain des actions d'éclat. »

— Youssouf Tata Cissé, Soundjata la gloire du Mali (p. 16)
À la bataille de Kirina, les griots ont joué un rôle essentiel.

Griot du peuple Niantiano, une branche des Malinké, d’après une illustration de 1868 réalisée par Émile Bayard, tirée du livre Voyage dans le Soudan occidental (Sénégambie-Niger) publié en 1868 par Eugène Mage, 1837-1869.

Le soura kèlè ou "combat de nuit"

La bataille de Kirina se poursuivit jusque tard dans la nuit, un épisode rare dans l’histoire des combats en Afrique de l’Ouest. Le soura kèlè, ou "combat de nuit", fut tout aussi meurtrier que les affrontements de la journée. Les chasseurs de Tiramakhan réussirent à anéantir les dernières poches de résistance sosso, traquant les guerriers ennemis dans les vallées et montagnes environnantes.

« On fit circuler les mots de passe en vue des combats de nuit, en même temps que ces mots d'ordre : « chacun derrière son chef; pas d'actions intempestives et encore moins suicidaires ».
« Combat sans éclat, le soura kèlè, « combat de nuit », le premier du genre que livrèrent des armées soudanaises, fut lui aussi meurtrier. Ainsi les chasseurs de Tiramakan massacrèrent-ils jusqu'au dernier des guerriers du Sosso qu'ils surprirent, à bout de forces, dans un cirque situé entre Sibi et Guéna. Soundjata n'a-t-il pas dit : « pas de pitié pour ceux qui ont tant de fois endeuillé et humilié le Manden ».

— Soundjata la gloire du Mali (p. 17)
Le combat de nuit à la bataille de Kirina.

Les derniers combats

Au petit matin, la victoire de Soundjata était totale. Les chefs du Sosso, réalisant que toute retraite était impossible, avait tenté de s’enfuir vers Nâréna pour rejoindre une armée de secours, composée de forgerons du Bambouk et de Peuls du Filadougou. Cependant, leur armée était décimée, et cette tentative de regroupement échoua. Soundjata ordonna à ses forces de poursuivre les derniers fuyards, consolidant ainsi sa victoire.

« La nouvelle de la déroute de l'armée du Sosso fit sortir de leur cachette nombre de braves cultivateurs qui, munis de gourdins ou de haches, emboîtèrent le pas aux vaillants combattants, afin, disaient-ils, de « parachever l'œuvre accomplie ».
« Tard dans la nuit, l'armée du Manden fit halte à Kri et sur les hauteurs de cette vieille cité, évitant ainsi toute attaque surprise de la part des guerriers du Sosso et de leurs éventuels alliés. »

— Soundjata la gloire du Mali (p. 17)
La bataille de Kirina était terminé à l'aube.

Héritage et symbolisme de la bataille de Kirina

La bataille de Kirina est restée gravée dans la mémoire collective des peuples mandingues comme un symbole de libération et d'unité. Elle représente l'aboutissement d'une lutte qui consacre Soundjata comme un héros fondateur. Son épopée, racontée par les griots à travers les siècles, continue d'inspirer les générations actuelles.

L'empire du Mali, issu de cette victoire, allait devenir un centre d'échanges commerciaux, culturels et intellectuels, attirant des savants et des marchands de tout le monde islamique et au-delà. La richesse de cet empire, sa stabilité politique et sa grandeur culturelle trouvent en partie leur origine dans cette bataille décisive.

Conclusion

La bataille de Kirina fut bien plus qu’un simple affrontement militaire : elle incarna une transformation profonde de l’Afrique de l’Ouest, marquant la fin de l’ère anarchique qui suivit la chute de l’Empire du Ghana au XIe siècle, et le début d’une période de prospérité et d’unité sous le règne de Soundjata Keïta. Grâce à cette victoire décisive, Soundjata a non seulement libéré son peuple, mais a également jeté les bases d'un empire qui allait marquer l’histoire de l'Afrique de manière indélébile.

Bibliographie

  • Youssouf Tata Cissé et Wâ Kamissoko, Soundjata la gloire du Mali : La grande geste du Mali - Tome 2. Éditions KARTHALA et ARSAN, 2009.

Vidéo YouTube

Crédit médias pour la vidéo

Carte de l'empire du Ghana en français. Crédit à Barada-nikto, CC BY-SA 4.0.

Carte de l'Empire Mali. Crédit à Marc-AntoineV, CC BY-SA 4.0.

Carte des états qui succédèrent à l'empire du Ghana, aux alentours de l'an 1200. Les tracés de frontière sont approximatifs : les états étaient des zones d'influence et le concept de frontière ne doit pas être imaginées comme celui qui existe de nos jours. Crédit à Souleymane Keita, CC BY-SA 3.0.

Pour en savoir plus sur la civilisation mandingue, merci de consulter la page d'accueil consacrée à ce peuple.

La bataille de Kirina à pour conséquence d'unir les peuples mandingues.

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